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TEXTES : Ep "Tribute à  BAUDELAIRE"  - â€‹Extraits de "Spleen et Idéal" 

 

                         L'Horloge


Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit : " Souviens-toi !
Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d'effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible ;



Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.


Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !


Remember ! Souviens-toi, prodigue ! Esto memor !
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or !


Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.


Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,
Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! "

​

 

 

                               Elévation


Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,



Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.



Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides;
Va te purifier dans l'air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.



Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins;

​

Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
- Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !

         

L'invitation au voyage

 

Mon enfant, ma soeur, Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir, Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

​

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.

​

Des meubles luisants,Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds, Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait Ã€ l'âme en secret
Sa douce langue natale.



Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde ;
C'est pour assouvir Ton moindre désir
Qu'ils viennent du bout du monde.
Les soleils couchants Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D'hyacinthe et d'or ; Le monde s'endort
Dans une chaude lumière.



Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

 

                    La Mort des Amants

 


Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d'étranges fleurs sur des étagères,
Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.



Usant à l'envi leurs chaleurs dernières,
Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.


Un soir fait de rose et de bleu mystique,
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux;


Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.


                 Le revenant  

          

    Comme les anges à Å“il fauve,
    Je reviendrai dans ton alcôve
    Et vers toi glisserai sans bruit
    Avec les ombres de la nuit ;
   
    Et je te donnerai, ma brune,
    Des baisers froids comme la lune


    Et des caresses de serpent
    Autour d'une fosse rampant.
   
    Quand viendra le matin livide,
    Tu trouveras ma place vide,
    Où jusqu'au soir il fera froid.
   
    Comme d'autres par la tendresse,
    Sur ta vie et sur ta jeunesse,
    Moi, je veux régner par l'effroi.

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